Face au passé, l’humour en bandoulière

Au loin les premières collines rwandaises vue depuis Kigozi

Au loin les premières collines rwandaises vue depuis Kigozi

La pénombre s’installe entraînant avec elle un peu de fraicheur sur les bords du lac Cohama. A l’horizon, le soleil couchant enflamme les collines rwandaises, les nuages terminent de se mirer sur les eaux tranquilles. Les derniers passeurs glissent sans un bruit et font traverser locaux et touristes d’une rive à l’autre.

Le restaurant des sœurs Bene Tereziya à Kigozi s’avance sur le lac, l’instant est idyllique pour siroter une petite bière locale. C’est soir de fête pour les travailleurs de la région, 1er mai oblige, plusieurs d’entre eux sont venus profiter d’un jour férié pour se détendre, se régaler d’un poulet et oser quelques pas de danse.

L’Histoire en dérision

« Karibu ! » (Bienvenu en kirundi), un homme de petite taille, vêtu d’une chemise rouge à carreaux, arborant un grand sourire surmonté d’une moustache s’avance vers moi. Il s’appelle Elie, travaille à l’Office burundais des recettes (OBR) et est enchanté de discuter avec un étranger. « Je suis du Sud et je travaille au Nord depuis dix mois » m’explique-t-il dans une évidente volonté de me montrer que les Burundais constituent un peuple uni. Il faut dire que le pays repose énormément sur l’identitaire avec trois critères principaux (de mon point de vue) : ethnique, régional et religieux. Les prochaines élections (2015) tendront certainement à le rappeler.

Guesthouse de Kigozi by night

Guesthouse de Kigozi by night

La conversation s’évade sur les routes plus brumeuses de l’évolution du pays ces dernières années : « On développe, vous savez ! Avant, il n’y avait que 200 écoles, aujourd’hui il y en a plus de 2000, vous voyez ? » Malgré une consommation un peu trop avancée d’alcool, Elie continue de tenir des propos sensés et un discours structuré : « Je suis un nationaliste, je veux un Burundi accueillant !  »

Moment choisi par Innocent, son collègue à l’OBR, pour nous rejoindre autour de la petite table ronde en plastique blanc. Lui est originaire du coin. L’Histoire du pays, le passé troublé n’empêchent en rien un humour caustique de sa part : « Dans notre histoire, nous avons été colonisés deux fois : par la Belgique et par le Bururi ! » Innocent s’esclaffe derrière ses petites lunettes rondes.

C’est un humour très osé puisqu’il fait référence à une période que certains voudraient oublier. De 1966 à 1993, le Burundi a en effet été dirigé par trois hommes issus de la province de Bururi, tous arrivés au pouvoir par coup d’état : Michel Micombero (1966-1976), Jean-Baptiste Bagaza (1976 – 1987) et Pierre Buyoya (1987-1993 et 1996-2003).

A l’échelle européenne, ce serait un Parisien qui se réjouirait d’avoir été colonisé par un Corse qui aurait ensuite déchiré son pays.

« Mais tout ça, nous … Il faut oublier, avancer » poursuit Elie. D’un coup de crayon, l’assassinat de Ndadaye en octobre 1993 et la guerre civile qui a perduré jusqu’en 2006 sont rayés des mémoires. Vive l’amnésie d’un soir, parlons du futur.

Guesthouse des soeurs de Kigozi

Guesthouse des soeurs de Kigozi

La Foi en nos avenirs

Les sœurs de Kigozi veulent, elles aussi, tourner le regard vers l’avenir « Les hutu, les tutsi,… Vous savez, on a l’espoir en demain, foi en l’avenir. » A la lueur des lampes sur la jetée, les sœurs prennent généralement le temps de s’installer quelques minutes avec leurs hôtes d’un soir. Bien loin d’être rétrogrades, elles ne font pas non plus montre d’un optimisme béat.

« Et chez vous ? Les querelles entre Wallons et Flamands, c’est terminé ? » Avec les crises successives qu’a connues le Burundi, certaines des sœurs ont quitté le pays, se réfugiant notamment en Belgique. Le lien est resté. « J’ai vécu à Uccle » explique l’une d’elles. « Je me souviens d’une messe de minuit, il n’y avait personne dans l’église ! Uniquement des vieilles personnes ! », poursuit-elle en haussant les sourcils. Le recul de la chrétienté en Europe l’inquiète. Nous serions devenus trop matérialistes, trop dépendants d’une immédiateté qui a perdu toute dimension spirituelle. « L’avenir de notre foi se situe peut-être en Afrique… » L’idée que les crises identitaire, économique, financière, politique que traverse l’Europe puissent faire renaître une spiritualité ne l’enchante pas particulièrement : « La véritable foi se perd or l’humanité en a besoin pour vivre ensemble. »

Le débat sur le mariage pour tous en France ou encore le développement du tourisme au Burundi rythment la conversation alors que les plats n’arrivent pas. La maîtresse des lieux s’en inquiète.

En tout, six sœurs vivent à Kigozi et emploient 15 personnes pour s’occuper de la guesthouse. Leurs journées s’écoulent entre les prières et le travail dans l’auberge, au centre de santé (financé par l’USAid) et dans l’école du village.

L’endroit est quelque peu perdu, au bout d’une piste descendant de Kirundo pendant une dizaine de kilomètres. Le chemin est bordé de maisonnettes aux murs de terre et aux toits en tôle. Le passage d’un blanc y est sans cesse salué d’un « Yambo muzungu » qui a le don de faire sortir les enfants de chez eux. En vous baladant et pendant que vous dépassez les plantations de bananes, c’est très vite une douzaine d’enfants qui se trouvent derrière vous, à imiter votre démarche, à chercher votre regard ou à demander de l’argent.  Ce premier réflexe a toujours le don d’interpeller, surtout en pleine campagne où le Blanc n’est pas monnaie courante.

Sans doute n’ont-ils aucune idée d’où se trouve la Belgique, sans doute aussi toutes les tensions du passé leur sont-elles toujours inconnues. Tous sont élèves des sœurs de Kigozi dont l’avenir s’inscrit du bout des doigts sur les pistes de terre du nord du Burundi.

Sur la piste menant à Kigozi, les enfants s'amusent des vélos en bois

Sur la piste menant à Kigozi, les enfants s’amusent des vélos en bois

Leave a comment